Description:
On connaît surtout Giancarlo Bini pour ses Infirmières d'Urgence : c'est pourtant avec La Pensionnaire que sa carrière a connu un tournant. Le pornographe a su se faire philosophe, questionner la société, donner ses lettres de noblesse au plan fixe. Le point de départ tient, comme souvent, en quelques mots : un père de famille confie sa fille Laura à un mystérieux nain afin qu'elle devienne une femme épanouie. La principale audace du film tient dans sa narration : l'actrice principale Rumika Power étant roumaine et incapable de dire son texte, l'histoire est racontée par sa jeune soeur, qui n'est autre que la fille d
On connaît surtout Giancarlo Bini pour ses Infirmières d'Urgence : c'est pourtant avec La Pensionnaire que sa carrière a connu un tournant. Le pornographe a su se faire philosophe, questionner la société, donner ses lettres de noblesse au plan fixe. Le point de départ tient, comme souvent, en quelques mots : un père de famille confie sa fille Laura à un mystérieux nain afin qu'elle devienne une femme épanouie. La principale audace du film tient dans sa narration : l'actrice principale Rumika Power étant roumaine et incapable de dire son texte, l'histoire est racontée par sa jeune soeur, qui n'est autre que la fille du réalisateur ! Mise en abîme, jeu sur l'inceste, complexe de Jocaste, place du père, conflits inter-générationnels... l'ambition est annoncée. Le film mêle peu à peu trois niveaux de narration : le premier au niveau du scénario (l'initiation de Laura en tant que voyeuse puis actrice), le deuxième au niveau du réalisateur (qui initie sa propre fille en tant que voyeuse), et enfin le troisième au niveau du spectateur (le film interdit aux moins de 18 ans n'est-il pas l'initiateur et le garant de l'âge adulte ?). C'est un croisement des adolescences, que le nain résumera dans une réplique dont la subtilité conforte Bini dans sa qualité de dialoguiste surdoué : "Putain, il faut qu'elle apprenne, putain." Cet apprentissage ne se fera pas sans traumatismes et maladresses. Le scénario touche particulièrement juste quand Laura, enfin active, passe directement de la fellation à la sodomie sans expérimenter le plaisir clitoridien : autant dire que son épanouissement se limitera à celui de ses partenaires. Avec une grande délicatesse, le film expose ainsi comment la sexualité masculine, imposée avec amour par le père en l'absence de la mère, est encore dans l'incompréhension du plaisir féminin. Comble de l'audace, c'est à une femme que Giancarlo Bini confiera cette éducation sexuelle castrée. Car c'est bien le drame de la frigidité qui s'annonce ici. Rumika Power se révèle d'ailleurs étincelante de retenue et d'ennui, toute en ostensible attente de son cachet. On se prend à rêver d'un La Pensionnaire 2, où Laura passerait de l'objet au sujet, et questionnerait enfin l'être-femme face à l'ingérence paternelle. Mais le film va plus loin dans sa courageuse politisation du sexe : choisir une personne de petite taille comme vecteur de sensualité, c'est aussi poser la question de la place des handicapés dans notre société et dans notre imaginaire. En pointillé, le nain devient métaphore de la nécessité de s'accepter avec ses défauts pour parvenir à une sexualité saine. Cette thématique est renforcée par un maquillage qui rend aux actrices leur pleine identité : boutons, pilosité sauvage, et même verrue anale. Autant de détails qui concordent vers une célébration de l'âge adulte. On regrettera parfois que la mise en scène ne soit pas à la hauteur de la réflexion de Bini : malgré une utilisation quasi baroque de la profondeur de champ, la réalisation pèche par abus de raccords dans l'axe. La pauvreté de l'ensemble est cependant rattrapée par l'éclairage des scènes de narration, qui doit beaucoup à l'expressionnisme allemand. Côté son, le travail sur l'onomatopée de certains seconds rôles est mis en valeur par une boucle musicale d'une heure trente sans interruption, digne d'une panne d'ascenseur en Moldavie. On l'aura compris : La Pensionnaire vaut plus par ses engagements politiques que par un quelconque transfert d'émotion. Il serait cependant injuste de négliger ce film sous prétexte d'intellectualisme : Laura finira par trouver le bonheur et, dans un ultime rebondissement, pardonnera au père en transférant sa révolte vers l'initiateur. La fin de l'adolescence, en somme.
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